La quête de l'unification

 

Albert Einstein a passé les derniers moments de sa vie (ses 20 dernières années dans sa maison de Princetown dans le New Jersey) à chercher inlassablement une théorie unique si puissante qu'elle décrirait tous les mécanismes de l'univers (il s'acharnait à trouver les équations de ce qui deviendrait un jour la théorie du « Tout »). Mais le temps lui a manqué pour réaliser son rêve.

L'unification serait la formulation d'une loi résumant tout l'univers connu à partir d'une seule idée, une équation maîtresse.

 

Historique de cette quête vers l'unification :

1665 : Isaac Newton révolutionne notre image de l'univers. Dans une hypothèse audacieuse pour son temps, il affirme que la force qui attire les pommes vers le sol et la force qui maintient la Lune en orbite autour de la Terre ne font qu'une. Il unifie les lois terrestres et célestes en une loi unique qu'il appelle « Gravité ».

Il s'agissait de la première force que l'on comprenait scientifiquement, et qui permettrait 300 ans plus tard aux scientifiques de calculer la trajectoire d'une fusée emmenant l'homme sur la Lune.

Isaac newton n'a pourtant alors pas la moindre idée de la façon dont fonctionnent les lois qu'il vient de découvrir. Et nous allons voir que de la découverte à la compréhension il y a un pas considérable.

Newton a d'ailleurs dit un jour : “j'étais comme un petit garçon jouant sur le rivage, et qui de temps en temps, s'amusait à trouver un petit galet, peut-être un peu plus lisse, ou un coquillage un peu plus joli, alors que l'immense océan de la vérité s'étendait devant moi, et que tout restait à découvrir”.

Albert Einstein, quelques 250 ans plus tard, suggéra que ce vaste océan, toutes les lois de la nature, se réduisait peut-être à quelques idées fondamentales exprimées par une poignée de symboles mathématiques.

 

milieu du 19ème siècle : l'électricité et le magnétisme éveillent l'intérêt des scientifiques.

Ces deux forces semblent liées par une curieuse relation que les inventeurs, comme Samuel Morse, mettent à profit dans des dispositifs totalement nouveaux, tels que le télégraphe : un signal électrique, envoyé à travers un fil télégraphique jusqu'à un aimant distant de plusieurs milliers de kilomètres permet de transmettre des messages d'un bout à l'autre du continent grâce à l'alphabet Morse en une fraction de seconde.

Pour un physicien écossais du nom de James Clarck Maxwell, le lien entre électricité et magnétisme est tellement évident dans la nature qu'il réclame l'unification. Quand un flux de particules chargées électriquement circule comme dans le phénomène de la foudre, il crée un champ magnétique. Et Maxwell veut parvenir à exprimer la connexion entre électricité et magnétisme qu'il observe dans la nature en langage mathématique. Et il parvient à échaffauder 4 équations mathématiques qui unifient l'électricité et le magnétisme en une force unique, l'électro-magnétisme, permettant ainsi à la science de franchir une nouvelle étape vers le décriptage du code dirigeant l'univers. Une même loi gouverne donc bien le mécanisme qui produit la lumière, l'électricité et l'attraction magnétique. C'est donc l'électromagnétisme.

 

début du 20ème siècle : un petit employé du bureau suisse des inventions techniques, Albert Einstein, puisque c'est de lui qu'il s'agit, médite à cette époque sur le comportement de la lumière, et cela va l'amener à résoudre le mystère de la nature de la gravité.

A l'âge de 26 ans, il fait une découverte stupéfiante : la vitesse de la lumière est une sorte de limite cosmique, une vitesse que rien dans l'univers ne peut excéder.

L'ennui c'est que cette découverte va à l'encontre de la vision newtonienne de la gravité.

Une question met en relief ce problème : quel serait l'effet de la disparition instantanée du soleil sur les planètes qui gravitent autour de celui-ci ?

La théorie de Newton prédit que dans ce cas, les planètes sortiraient immédiatement de leur orbite pour dériver dans l'espace. En d'autres termes, Newton envisageait la gravité comme une force agissant instantanément à n'importe quelle distance. Et c'est donc immédiatement qu'on ressentirai l'effet de la destruction du soleil.

Mais Einstein voyait un énorme problème dans la théorie de Newton. Il savait que la lumière ne se propage pas instantanément (il faut environ 8 mn aux rayons du soleil pour parcourir les 150 millions de km qui le sépare de la terre). Et puisqu'il avait montré que rien, pas même la gravité, ne peut voyager plus vite que la lumière, comment la terre pourrait-elle quitter son orbite avant que l'obscurité résultant de la disparition du soleil n'ait atteint nos yeux (les 8mn dont nous venons de parler)? (Voir l'image ci-dessous)

 

La vision newtonienne de la gravité était donc fausse.

Les équations de Newton permettaient pourtant bien de calculer les trajectoires des planètes. Tout n'était donc pas faux.

A l'approche de la trentaine, Einstein se lance dans une quête solitaire pour résoudre ce mystère. Et après 10 années d'intenses recherches, il trouve enfin la réponse dans un nouveau genre d'unification.

Einstein a fini par imaginer les 3 dimensions de l'espace et la dimension unique du temps comme liés dans un même tissu unique d'espace-temps. Comme la surface d'un trempolin, ce tissu uni est distendu par des objets lourds tels que les planètes et les étoiles. Et c'est cette déformation, ou courbure de l'espace-temps, qui crée ce que l'on ressent comme la gravité. Une planète (comme la terre), serait maintenant en orbite non parce que le Soleil la contrôle et de façon instantanée s'en empare comme dans la théorie de Newton, mais simplement parce qu'elle suit les courbes du tissu spatial, courbes causées par la présence de cet objet lourd qu'est le Soleil.

Avec cette compréhension de la gravité, nous pouvons imaginer sous un autre angle la question posée plus haut, à savoir ce qui se passerait si le Soleil disparaissait instantanément. La perturbation gravitationnelle qui résulte de la disparition du soleil formerait une vague à partir du soleil, qui se propagerait à travers le tissu spatial de la même manière que des ondulations se propagent à la surface de l'eau quand on jette un galet dans une mare (voir l'image ci-dessous). Nous ne sentirions donc aucun changement dans notre orbite autour du soleil jusqu'à ce que cette vague atteigne la Terre, moment précis où celle-ci quitterait son orbite. Einstein calcule que ces ondulations de la gravité voyagent exactement à la vitesse de la lumière !

Ainsi, avec cette nouvelle approche, Einstein résoud le conflit avec Newton de savoir à quelle vitesse la gravité se propage.

Et plus important encore, Einstein va donner au monde une nouvelle image de ce que sont les forces de gravitation : ce sont des courbes et des distortions dans le tissu même de l'espace et du temps. Il appelle cette nouvelle image de la gravité la « relativité générale » et devient une célébrité.


Non satisfait de cette réussite, Einstein se fixe aussitôt un objectif plus élevé encore : l'unification de la nouvelle image de la gravité avec la seule autre force connue à cette époque, la force électro-magnétique ou électromagnétisme.

Il est convaincu que s'il arrive à unifier la gravité et l'électromagnétisme de Maxwell, il sera en mesure de formuler l'équation maîtresse, celle qui peut tout décrire, l'univers tout entier. Il pense en effet qu'il existe un mécanisme grandiose qui régit le comportement de l'univers.

Mais quand il commence à essayer d'unifier la gravité avec l'électromagnétisme, il s'aperçoit que la différence d'intensité entre ces deux forces l'emporte sur leur similarité.

On a tendance a penser que la gravité est une force très puissante, mais comparée à l'électromagnétisme, elle est en réalité terriblement faible. En réalité la force électromagnétique est des milliards et des milliards de fois plus puissante que la gravité, même si celle-ci fait tourner la terre autour du Soleil, ce qu'elle parvient à faire uniquement parce qu'elle agit sur de gigantesques congloméras de matière. A l'échelle des atomes par contre, la gravité est une force incroyablement faible.

Einstein va donc s'acharner à essayer d'unifier ces deux forces d'intensité considérablement différente. Et il va y passer du temps !

Pendant ce temps, d 'immenses bouleversements dans le monde de la physique vont le laisser loin derrière.

 

années 1920 : un groupe de jeunes scientifiques volent la vedette à Einstein avec une manière nouvelle de penser la physique. Conduits par le physicien danois Niels Bohr, ils découvrent une facette entièrement nouvelle de l'univers. Les atomes, longtemps considérés comme les plus petits éléments de la nature, s'avèrent constitués de particules encore plus petites. Le noyau est constitué de protons et de neutrons, autour duquel gravitent des électrons. Hors, les théories d'Einstein et de Maxwell ne peuvent expliquer la façon bizarre dont ces petits bouts de matière interagissent les uns avec les autres à l'intérieur de l'atome. La gravité, l'électricité et le magnétisme ne fournissaient pas l'explication à cela.

A la fin des années 20, les physiciens développent une nouvelle théorie appelée mécanique quantique, une théorie capable de décrire le monde microscopique. Cette théorie va pulvériser les façons précédentes de considérer l'univers. Les théories d'Einstein présupposent un univers organisé et prévisible avec lequel Niels Bohr n'est pas d'accord. Celui-ci proclame qu'à l'échelle des atomes et des particules le monde est un jeu de hasard, qu'au niveau atomique (ou quantique), c'est le règne de l'incertitude. Le mieux qu'on puisse faire, d'après la mécanique quantique, c'est de prédire les chances ou probabilités d'avoir un résultat plutôt qu'un autre.

Et cette idée particulière donne naissance à une vision inédite et troublante de la réalité. À l'échelle de la vie quotidienne, nous ne ressentons pas directement l'« étrangeté » des phénomènes décrits par la mécanique quantique. La mécanique quantique affirme par exemple qu'il existe une possibilité que des particules traversent un mur ou une barrière considérée comme impénétrable.

Einstein quand a lui restera jusqu'au bout convaincu que l'univers se comporte de façon sûre et prévisible. L'idée que l'on ne peut que calculer les probabilités qu'une chose se produise plutôt qu'une autre est un concept auquel il s'opposait farouchement. Il disait : « Dieu ne joue pas aux dés ! »

Pourtant la lecture du récit biblique suivant fait réfléchir (ce passage se trouve dans l'évangile de Jean 20 : 28) : Huit jours plus tard, ses disciples étaient de nouveau à l’intérieur, et Thomas avec eux. Jésus vint, alors que les portes étaient verrouillées, et il se tint au milieu d’eux et dit : “ Paix à vous. ”. La citation de ce passage est là uniquement pour ouvrir l'esprit sur le fait que quitte à faire des théories, pourquoi ne pas regarder si des évènements auparavant mis en doute, tels celui cité ici, ne pourraient pas prendre un air de possible à la lumière des connaissances nouvelles. En effet, pourquoi les théories ne viseraient-elles, comme cela semble bien souvent le cas, qu'à tenter de prouver que l'homme et l'univers ne doivent rien à personne pour ce qui est de leur existence ? L'honnêteté nous oblige à confronter toutes les possibilités. La question est : tout est-il issu du hasard ou pas ?

Une explication cohérente, permettant de concilier la vision d'Einstein et celle de la mécanique quantique est-elle possible ?

Car malgré tout ce que la science doit à Einstein, il faut bien reconnaître que les unes après les autres les expériences démontrent que la mécanique quantique décrit effectivement le fonctionnement du monde à l'échelle subatomique. Du moins pour l'instant.

 

début des années 30 : la quête d'unification d'Einstein piétine, tandis que la mécanique quantique dévoile les secrets de l'atome. Les chercheurs s'aperçoivent que la gravité et l'électromagnétisme ne sont pas les seules interactions régissant l'univers. En sondant la structure de l'atome, ils découvrent deux nouvelles forces.
La première, l'interaction forte, agit comme une super glue. Elle maintient le noyau de chaque atome en liant les protons aux neutrons.
La seconde, l'interaction faible, permet aux neutrons de se transformer en protons tout en émettant des radiations. Elle est responsable de la désintégration radioactive.
Point important : à l'échelle quantique, l'interaction qui nous est la plus familière, celle que nous ressentons le plus à notre échelle, la gravité, est totalement éclipsée par l'électromagnétisme et ces deux nouvelles forces.
Le 16 juillet 1945, au beau milieu du désert du Nouveau-Mexique furent révélées la puissance des forces que sont l'interaction forte et faible. Une bombe atomique de 1,5 mètre fut activée et libéra une puissance équivalente à 20 000 tonnes de TNT. Avec cette explosion, les scientifiques ont vaincu l'interaction forte qui maintient les protons et les neutrons soudés entre eux à l'intérieur du noyau des atomes. En brisant l'emprise de cette glue, ils ont libéré des quantités inimaginables d'énergie destructrice. On peut aujourd'hui encore détecter des traces de cette explosion grâce à l'autre force nucléaire, l'interaction faible, responsable de la radioactivité dont les niveaux sont encore dix fois supérieurs à la normale en cet endroit de la planète.

Mais alors, qu'en est-il de la gravité, et de la relativité générale d'Einstein ? Quelle est leur place à l'échelle quantique ?

La mécanique quantique nous dit comment oeuvrent toutes les forces de la nature dans le domaine microscopique... à l'exception de la force de gravité. Personne n'arrivait à comprendre comment la gravité opère à cette échelle subatomique. Autrement dit personne n'arrivait à dire comment mettre la relativité générale d'Einstein et la mécanique quantique ensemble dans le même paquet.

En 1933, après avoir fui l'allemagne nazie, Einstein s'installe à Princetown, New Jersey, poursuivant sa quête en solitaire, tandis qu'une majorité pense qu'il fait fausse route et que son âge d'or est déjà derrière lui. Einstein choisit délibérément de ne pas s'intéresser aux résultats des expériences sur l'atome. Les lois de la mécanique quantique n'ont aucune place dans ses recherches. Il s'éteindra le 18 avril 1955, et pendant des années son rêve d'unification des forces au sein d'une théorie unique semblera avoir disparu avec lui. Presque plus aucun physicien sérieux n'est d'ailleurs engagé dans cette quête à ce moment-là.

Depuis lors, la physique s'est divisée en deux camps distincts. Un qui utilise la relativité générale pour l'étude des objets lourds de l'infiniment grand tels que les étoiles, les galaxies et l'univers dans son ensemble. L'autre qui utilise la mécanique quantique pour l'étude d'objets infiniments petits tels que les atomes et les particules.

Il semblait qu'on n'arriverait jamais à marier ces deux camps dans une théorie unique qui serait susceptible de décrire l'univers à toutes ses échelles.

Il existe pourtant des facettes étranges du cosmos qui ne pourront jamais être entièrement comprises tant que ne sera pas trouvée une théorie unifiée. Les trous noirs en sont un exemple.

C'est un astronome allemand, Karl Schwarzschild, qui définit le premier, en 1916, ce qu'on appelle aujourd'hui les trous noirs. Alors qu'il est au front pendant la 1ère guerre mondiale, il propose une façon nouvelle et étonnante de résoudre les équations de la relativité générale d'Einstein. Entre deux calculs de trajectoire d'artillerie, il s'aperçoit qu'une énorme quantité de masse, comme celle d'une étoile très dense, concentrée dans une petite zone, déformerait tant le tissu de l'espace-temps que rien, pas même la lumière, ne pourrait échapper à son champ gravitationnel. Ses calculs ont été mis en doute pendant des dizaines d'années, mais aujourd'hui les satellites et les téléscopes découvrent des régions de l'espace avec un gigantesque champ gravitationnel que la plupart des scientifiques considèrent comme des trous noirs.

Mais alors une question se pose. Si on essaye de comprendre ce qui se passe dans les profondeurs d'un trou noir, ou une étoile toute entière est compressée en un point minuscule, faut-il faire appel à la relativité générale parce que l'étoile est incroyablement lourde, ou à la mécanique quantique parce qu'elle est minuscule ? Le centre d'un trou noir étant à la fois petit et lourd, on ne peut éviter d'utiliser les deux théories en même temps. Ce qui tendrait à prouver que les deux théories, même si on ne sait pas les rendre compatibles, ne sont pas antagonistes.

Quand on essaye de réunir les deux théories dans le domaine des trous noir, elles se heurtent et tout s'effondre. Leurs prédictions sont incohérentes. Hors l'univers n'est pas incohérent. Il faut bien qu'il ait un sens.

La prochaine page nous dévoilera une théorie nouvelle.

 

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